Il y a des moments où on regarde un enfant jouer et l’on entrevoit quelque chose de profond : une pensée en train de se construire, fragile et tenace. C’est le moment où l’on voit naître des représentations – le monde devient petit à petit lisible pour ce jeune regard. Dans cet article, on suit Léa, une enfant imaginaire dont le parcours sert de fil conducteur pour explorer la théorie de Jean Piaget et ses implications pour l’éducation, la famille et la clinique. Léa n’est pas un exemple parfait ; elle se trompe, répète, invente, se fâche, puis retrouve l’émerveillement. Elle nous aide à prendre au sérieux l’idée que la pensée se construit étape par étape, à travers l’action et la relation.
Nous aborderons ici les principes essentiels de la théorie piagétienne — génétique, schémas, adaptation — puis chacun des quatre stades : sensori-moteur, préopératoire, opératoire concret et formel. À chaque étape, des exemples concrets, des activités pédagogiques, et des remarques cliniques permettront de relier la théorie à la pratique. On évoquera aussi les apports contemporains, les critiques et les adaptations possibles, notamment face à la diversité culturelle et aux nouveaux supports d’apprentissage. Vous trouverez des pistes pour aménager un environnement stimulant (penser Montessori, jeux de manipulation comme ceux de Janod, Haba, Goula ou des jeux de logique de SmartGames), et des références pour approfondir certains points sensibles.
Les fondements de la théorie de Piaget : génétique, schémas et adaptation
Au cœur de la démarche de Piaget se tient une phrase simple et essentielle : la connaissance se construit. Ce n’est pas un donné immuable que l’on reçoit, mais une structure qui émerge de l’action sur le monde et des échanges avec les autres.
Problème : comment naît la pensée ?
Piaget propose la notion de génétique épistémologique pour penser l’origine et la progression du savoir. Ce mot long rappelle que l’on s’intéresse à la genèse, au devenir du savoir, pas à une transmission passive. On observe les enfants comme des petits chercheurs : ils expérimentent, échouent, tâtonnent et réorganisent leurs schémas.
Solution : les schémas et l’adaptation
Un schéma est une sorte de « fiche mentale » qui guide l’action et l’interprétation. À la naissance, quelques schémas réflexes existent déjà (sucer, agripper). Progressivement, ces schémas se complexifient par deux mécanismes complémentaires : assimilation (on intègre une nouvelle expérience dans un schéma existant) et accommodation (on modifie le schéma pour tenir compte de la nouveauté).
- Assimilation : appeler « chien » un animal à quatre pattes parce que le schéma « animal à quatre pattes = chien » est actif.
- Accommodation : différencier « chien » et « chat » après plusieurs rencontres et ajuster les schémas.
- Équilibration : l’effort pour retrouver un équilibre cognitif, moteur de la progression.
Ces processus produisent des moments de disequilibrium, où l’enfant se heurte à une contradiction et doit revoir ses représentations. C’est précisément ce malaise cognitif qui fait avancer la pensée.
Exemples concrets et implications pratiques
Imaginons Léa à 18 mois : elle tire une poupée vers elle en utilisant le schéma « tirer-approcher ». Puis la poupée roule sous un meuble. Si elle ne comprend pas la persistance de l’objet, elle cesse de chercher. En revanche, lorsqu’elle intègre l’idée que les objets continuent d’exister, elle accomplit une étape nouvelle : la permanence de l’objet.
Sur le plan éducatif, cela invite à proposer des situations qui provoquent un léger déséquilibre intellectuel : matériaux nouveaux, jeux de tri, manipulations. On privilégiera des jouets qui encouragent l’essai-erreur et la symbolisation. Dans la pratique, des éléments issus de la pédagogie Montessori ou des jeux de manipulation de marques comme Janod, Haba ou Goula favorisent ces processus car ils demandent une action concrète et un retour sensoriel.
- Favoriser l’action : matériaux tactiles, puzzles, perles à enfiler.
- Provoquer la recherche : jeux d’énigmes progressifs (ex. SmartGames).
- Respecter la « readiness » : proposer ce qui correspond au stade développemental.
Sur le plan clinique, l’attention se porte sur la qualité des interactions : les parents et les éducateurs comme « médiateurs » qui aident l’enfant à formuler, tester et remanier ses hypothèses. Ceci rejoint des sujets plus larges comme l’importance de l’affectivité dans le développement (voir, par exemple, des synthèses sur l’importance de l’affectivité chez l’enfant sur ce site : Importance de l’affectivité).
En bref, la théorie piagétienne nous donne une grille pour comprendre que l’intelligence n’est pas un prêt à consommer mais un chantier en construction, fait de gestes, d’erreurs et de remaniements. Cette idée nous prépare à explorer les étapes suivantes où ces mécanismes prennent des formes spécifiques.

Le stade sensori-moteur (0-2 ans) : naissance des représentations et jeux
Il y a quelque chose d’urgent et de présent dans le bébé : tout passe par le corps et les sens. Le sens premier du mot « compréhension » pour un nourrisson, c’est l’action qui produit un effet. À ce stade, on voit apparaître l’une des découvertes les plus célèbres de Piaget : la permanence de l’objet.
Problème : vivre dans l’instant
Au début de la période sensori-motrice, le monde n’a pas encore de permanence pour l’enfant. Si un jouet disparaît, il est comme effacé. Cela explique des réactions qui nous paraissent parfois cruelles : pleurer parce qu’un parent quitte la pièce, ou perdre tout intérêt pour un objet caché.
Solution : actions, répétitions, représentations
Les progrès se font par petites séquences : tâtonnements, imitations, essais. Vers 8 mois environ, l’enfant commence à chercher un jouet caché : signe qu’il forme une représentation mentale du réel. Puis apparaissent l’imitation différée et le jeu symbolique naissant — l’enfant peut faire semblant avec un objet.
- Jeux recommandés : peek-a-boo, cache-cache d’objets, jeux d’eau et de sable.
- Matériaux utiles : boîtes à formes, anneaux à empiler, objets manipulables (Janod, Djeco, Goula).
- Approches pédagogiques : espaces sensoriels inspirés de Montessori et activités motrices chez Oxybul.
Prendre le temps d’observer comment Léa manipule un hochets permet d’identifier ses schémas : elle porte d’abord tout à la bouche, puis commence à associer secouer = bruit. Ensuite, elle comprend la relation de cause à effet et développe des représentations plus stables.
Exemples cliniques et culturalités
Les pratiques culturelles modulent ce développement. Par exemple, dans des cultures où les bébés sont portés en permanence, la variété sensorielle et la proximité influencent la façon dont les schémas se constituent. Un jouet très structuré dans un contexte occidental (comme certains jeux Nathan ou Capitool) ne joue pas le même rôle partout.
- Différences culturelles : portage, temps de jeu libre, types de jouets.
- Variantes individuelles : certaines bébés progressent plus vite en imitation, d’autres montrent une exploration sensorielle plus longue.
- Conséquences cliniques : repérer les retards de permanence de l’objet ou de l’imitation précoce invite à une observation approfondie.
Sur le plan pratique, on encourage les parents à multiplier les occasions de recherche et de manipulation sans appauvrir l’environnement. Un coin de jeu simple, quelques boîtes, de l’eau, du sable, et des objets de différentes textures suffisent souvent pour provoquer un apprentissage solide.
Enfin, lorsque l’on voit un enfant sourire en retrouvant un jouet caché, on assiste à une petite victoire cognitive : la naissance d’une représentation qui tiendra les prochains apprentissages. C’est un repère que l’on retrouve plus tard dans des jeux symboliques élaborés.

Le stade préopératoire (2-7 ans) : langage, symboles et égocentrisme
À deux ans, Léa commence à transformer son monde en histoires. Les mots arrivent et avec eux la capacité de nommer, d’imaginer et de représenter. Mais cette pensée est encore très liée aux apparences et centrée sur son propre point de vue.
Problème : penser par l’image et rester centré
Le cœur du défi à cet âge est que la logique n’a pas encore pris le dessus sur l’apparence. Un jeune enfant est souvent persuadé que la réalité se réduit à ce qu’il voit. Ainsi, il peut affirmer qu’un grand verre contient plus d’eau qu’un petit, ou croire que sa poupée ressent de la douleur comme lui.
Solution : symbolisation et jeu social
Le langage offre une nouvelle voie pour s’éloigner du monde strictement sensoriel. Les représentations intérieures se développent : on joue au docteur, on invente un ami imaginaire, on utilise une boîte comme voiture. Ce travail de symbolisation est fondamental pour l’empathie future et pour la pensée abstraite qui émergera progressivement.
- Activités favorables : jeux de rôle, marionnettes, contes, dessin libre.
- Matériaux conseillés : boîtes à histoires de Capitool, jeux créatifs de Djeco, puzzles éducatifs de Nathan.
- Exercices pour dépasser l’égocentrisme : mettre l’enfant en situation de dire ce que voit l’autre, raconter des histoires à plusieurs voix.
Dans l’observation clinique, on repère fréquemment des amis imaginaires à cet âge. Ils jouent un rôle symbolique important et ne doivent pas être pathologisés. Pour approfondir, vous pouvez lire des réflexions sur les ami·e·s imaginaires : amis imaginaires chez l’enfant.
Exemples et outils pédagogiques
Imaginons Léa en train de jouer « l’école » : elle distribue des feuilles à ses poupées et adopte le ton entendu chez la maîtresse. C’est un exercice de mise en scène symbolique qui prépare aux activités scolaires. Le recours à jeux structurés (comme certains jeux de logique ou de séquences de SmartGames) aide à introduire peu à peu des règles et des perspectives autres que la sienne.
- Encourager la narration : poser des questions ouvertes, accepter les digressions.
- Proposer des jeux coopératifs : activités à deux où chacun doit prendre en compte l’autre.
- Limiter les représentations stéréotypées : veiller à la diversité des personnages et des situations pour éviter des biais identitaires.
Cette période est aussi celle où la représentation et la théorie de l’esprit commencent à s’installer. L’enfant réalise que l’autre peut avoir des pensées différentes — un pas discret mais déterminant vers la sociabilité et l’empathie. C’est un moment où les outils ludiques (poupées, cuisines jouets, costumes) sont irremplaçables pour travailler ces compétences.

En somme, le préopératoire est un temps de grande créativité et d’apprentissage symbolique, où le jeu tient la place centrale pour entrer dans le monde partagé des significations.
Le stade opératoire concret (7-11 ans) : logique, conservation et pensée matérielle
Autour de sept ans, quelque chose change de manière visible : l’enfant commence à manipuler mentalement des opérations quand elles demeurent attachées au concret. On parle de conservation, de réversibilité et de classification. Léa à huit ans peut résoudre un problème si elle peut toucher, mesurer, comparer.
Problème : la pensée doit se libérer des apparences
Avant ce stade, les erreurs classiques révèlent une pensée centrée sur un aspect saillant (hauteur, couleur). L’enfant confond souvent forme et quantité. Le défi est donc de construire des opérations mentales robustes capables de traiter la relation entre différentes dimensions d’un objet.
Solution : activités concrètes et démarche expérimentale
Les manipulations restent ici le meilleur véhicule pour la logique. Jeux de classification, tri par attribut, expérience simple de conservation de liquide : ce sont des occasions pour l’enfant d’éprouver des invariants. L’enseignant devient un guide qui propose des défis progressifs et des outils concrets (manipulables, schémas, bilans). C’est la logique du « faire pour comprendre ».
- Activités pratiques : expériences de conservation, puzzles logiques, tri complexe.
- Matériel utile : kits de mesures, Lego Éducation pour construire et expérimenter, jeux scientifiques simples.
- Méthodes pédagogiques : travail en groupes, tâches de classification et épreuves de sériation.
Piaget a inspiré des réformes pédagogiques (par exemple, des rapports comme le Plowden dans les années 1960 ont proposé de valoriser l’apprentissage actif et adapté à l’âge). Ces recommandations restent pertinentes : fournir des expériences concrètes avant d’introduire des symboles abstraits, différencier les tâches selon la préparation de l’enfant, et mettre l’accent sur le processus plutôt que sur la simple réponse correcte.
Dans la classe de Léa, l’enseignante propose des expériences avec différentes quantités d’eau. Les enfants versent, comparent, discutent, et découvrent que la quantité ne change pas malgré la forme du récipient. Ce passage d’un constat sensoriel à une règle stable est précisément l’action de l’équilibration en mouvement.
- Faire des liens interdisciplinaires : utiliser des expériences scientifiques pour renforcer le mathématique.
- Encourager la coopération : la discussion entre pairs favorise la décentration et l’argumentation.
- Éviter la pression prématurée vers l’abstraction : attendre la maturation des opérations concrètes.
Sur le plan clinique et éducatif, sensibiliser les familles à l’importance des jeux manipulables — des kits adaptés comme ceux signés Nathan ou Lego Éducation — aide à nourrir la logique. Pour approfondir l’impact des objets symboliques dans l’apprentissage, on peut consulter des ressources comme apprentissage par les objets symboliques.

Le vrai résultat à cet âge n’est pas d’avoir des réponses parfaites, mais d’avoir des enfants capables d’argumenter à partir d’observations et de procédures. C’est la promesse de la pensée opératoire concrète.
Le stade opératoire formel (12 ans et plus) et les limites modernes de la théorie
Adolescence : le monde des idées devient possible. Léa, à treize ans, peut envisager des hypothèses, raisonner sur des enjeux politiques ou éthiques, imaginer des scénarios contrafactuels. Elle expérimente la pensée abstraite et la métacognition. Mais attention : tout le monde n’atteint pas le même niveau formel, et la culture joue un rôle majeur.
Problème : l’abstraction n’est pas automatique
Piaget a montré que le raisonnement hypothético-déductif peut apparaître vers douze ans, mais des recherches ultérieures indiquent une variabilité importante. Tous n’atteignent pas le stade formel : Keating et d’autres ont montré que beaucoup d’adultes peinent sur des tâches formelles. La question devient alors : comment favoriser le raisonnement abstrait sans le prescrire de manière autoritaire ?
Solution : pédagogies actives, débat et métacognition
Pour encourager la pensée formelle, on propose des situations où les adolescents doivent formuler des hypothèses, tester des scénarios et réfléchir sur leurs propres stratégies — ce que Piaget nommait abstraction réfléchie ou métacognition. Les débats, les projets interdisciplinaires, les enquêtes de type « problématisation » sont particulièrement efficaces.
- Activités recommandées : débats, projets de recherche, résolution de problèmes ouverts.
- Ressources : activités de pensée critique, jeux de stratégie complexes (SmartGames avancés, Lego Éducation pour projets STEM).
- Compétences visées : raisonnement hypothético-déductif, planification, supervision des stratégies cognitives.
La montée du numérique et des réseaux sociaux modifie le paysage éducatif. Les plateformes permettent des échanges rapides et une diversité d’exemples, ce qui peut faciliter l’assimilation et l’accommodation si l’usage est guidé. Pour réfléchir aux effets du numérique sur la cognition, voir des analyses comme les effets des jeux vidéo et des ressources sur la formation continue (éducation et fonctionnement cognitif).
Il est par ailleurs essentiel de reconnaître les limites de la théorie. Des études interculturelles (Dasen, Rogoff) montrent que l’ordre des stades se maintient souvent mais que l’âge d’accès et la manifestation des compétences varient fortement selon les contextes. Ainsi, chez certains groupes, la pensée spatiale se développe plus tôt, tandis que d’autres retardent dans des tâches de conservation à cause d’enjeux culturels différents.
- Critiques : variabilité interindividuelle, sous-estimation du rôle social (Vygotsky), influence culturelle.
- Adaptations : intégrer la socioculture dans l’analyse, travailler en équipes pluridisciplinaires, valoriser la plasticité cérébrale.
- Applications cliniques : adapter les interventions pour adolescents en tenant compte de leur niveau formel et de leur contexte social.

Enfin, penser Piaget aujourd’hui, en 2025, ne consiste pas à suivre un dogme, mais à garder l’intuition centrale : l’intelligence se construit. On l’enrichit avec les apports de Vygotsky, la neuroplasticité et les nouvelles formes d’apprentissage participatif. C’est ce dialogue entre héritage et actualité qui garde la théorie vivante.
Quelles activités favoriser pour chaque stade de Piaget ?
Pour le stade sensori-moteur : jeux de recherche et matériel sensoriel (sable, eau, hochets). Pour le préopératoire : jeux symboliques, contes et dessins. Pour l’opératoire concret : manipulations, expériences et classification. Pour le formel : débats, projets de recherche et résolution de problèmes ouverts. Des matériaux comme ceux proposés par Janod, Djeco, Haba, Goula ou SmartGames peuvent être très utiles.
La théorie de Piaget est-elle encore pertinente en éducation ?
Oui, comme cadre pour comprendre la progression des compétences cognitives et pour concevoir des activités adaptées à la « readiness ». Toutefois, il convient de la compléter par des approches socioculturelles et des données récentes sur la plasticité cérébrale. Voir aussi des propositions pratiques sur éducation et fonctionnement cognitif.
Comment adapter Piaget aux différences culturelles et aux besoins spéciaux ?
Il faut individualiser les pratiques : proposer des expériences concrètes multisensorielles, du soutien progressif (scaffolding) et des évaluations flexibles. Les approches combinées (thérapies, orthophonie, ergothérapie) sont souvent nécessaires pour les enfants avec des besoins éducatifs particuliers.
Quel lien entre Piaget et la pédagogie Montessori ?
Les deux partagent l’idée de l’apprentissage actif et de l’importance de l’environnement préparé. Montessori met l’accent sur l’autonomie et des matériels spécifiques, tandis que Piaget décrit les stades et les mécanismes cognitifs. Ils se complètent dans la pratique.