Le tatouage, plus qu’un effet de mode

Le tatouage est devenu un phénomène de société dont la popularité ne cesse d’augmenter. Longtemps cantonné aux marges de la société, considéré comme l’apanage des militaires, des marins et autres marginaux, le tatouage s’est progressivement démocratisé. Aujourd’hui, selon un sondage IFOP de 2017, un Français sur cinq serait tatoué.

Un phénomène en constante évolution

La mode du tatouage ne cesse de progresser et de se répandre à travers le monde. On voit désormais des individus dont le corps est intégralement recouvert de tatouages, visibles aux yeux de tous. Les formes, les dessins et les contenus varient d’un pays à l’autre, témoignant de la diversité des motifs et des significations accordées à cette pratique ancestrale.

Ce qui était autrefois marginal est devenu populaire, au point de susciter l’intérêt des chercheurs en sciences sociales. Mais le tatouage garde parfois encore une image sulfureuse, associée à la délinquance et à la criminalité.

Au-delà de l’esthétique, une dimension psychologique

Les recherches menées sur le tatouage ont montré qu’il ne s’agissait pas seulement d’un effet de mode ou d’un choix purement esthétique. Pour beaucoup, le tatouage revêt une dimension psychologique importante. Il est porteur de sens et traduit un cheminement intérieur profond.

En modifiant durablement l’apparence du corps, le tatouage transforme également le regard que l’on porte sur soi-même. Il peut devenir une façon de panser certaines blessures psychiques, de rehausser l’estime de soi ou de s’affirmer face aux autres.

Le tatouage, marqueur identitaire

Plusieurs études ont montré que les individus ayant des tatouages importants et visibles ne les choisissaient pas au hasard. Ces tatouages traduisent bien souvent un mal-être profond et une quête effrénée d’identité.

A la recherche de soi-même

En psychologie, on considère que la construction de l’identité résulte de l’interaction entre trois processus fondamentaux :

  • Le processus somato-psychique : la prise de conscience de son propre corps
  • Le processus pulsionnel : les investissements narcissiques envers son corps
  • Le processus relationnel : le besoin de se sentir reconnu et vu par les autres

C’est en prenant conscience de la limite entre soi et autrui que l’on construit son identité. Le “moi” se forge en miroir du regard de l’autre.

Pour le pédopsychiatre Didier Anzieu, l’identité personnelle s’étaye sur le corps biologique et le corps social. Il parle ainsi de “moi-peau” pour désigner la conscience que l’on prend de sa propre enveloppe corporelle.

La peau constitue ainsi l’écran sur lequel l’individu peut projeter une identité rêvée. Elle est le support privilégié des marques corporelles, dont le tatouage, qui viennent fixer et affirmer une identité encore fragile.

Panser les blessures par le tatouage

Lorsque le narcissisme du sujet est fragilisé, que son estime de soi est défaillante, le processus d’identification peut être mis à mal.

C’est alors que peut surgir ce que le psychanalyste Donald Woods Winnicott appelait le “faux-self”. Il s’agit d’une identité de façade, une sorte de masque derrière lequel le sujet dissimule sa véritable personnalité.

Ne pouvant assumer pleinement qui il est, l’individu va alors compenser ce manque en surinvestissant son apparence physique. Le tatouage peut devenir une “carapace”, selon le mot de la psychanalyste Françoise Dolto, permettant de masquer ses failles narcissiques.

Il est frappant de constater que les personnes arborant des tatouages spectaculaires cherchent souvent, par ce biais, à attirer l’attention sur elles. Provocateurs, audacieux, ces tatouages témoignent d’un profond besoin de reconnaissance.

En transformant son image, l’individu espère aussi modifier le regard que les autres posent sur lui. Le tatouage devient ainsi un puissant marqueur identitaire. Il est une façon de proclamer son unicité.

Le corps, support d’inscription de l’identité

La peau occupe une place essentielle dans la construction de notre identité. Elle est à la fois ce qui nous relie au monde et nous en sépare, la frontière entre le dedans et le dehors. En la tatouant, c’est tout notre rapport à nous-même et aux autres que nous redéfinissons.

S’inventer une nouvelle image

Chez les personnes tatouées, on observe souvent un décalage entre l’image réelle de soi et celle que l’on voudrait renvoyer. Complexées par certains aspects de leur apparence, elles peuvent avoir le sentiment de ne pas exister pleinement au regard des autres.

Le tatouage surgit alors comme une façon de combler ce fossé, de résorber l’écart entre le “vrai self” et that “faux self” dont parlait Winnicott. Il devient le support d’inscription d’une identité idéalisée.

C’est en quelque sorte sur sa propre peau que le sujet “bricole” son sentiment de soi, pour reprendre le terme du sociologue David Le Breton. Le tatouage lui permet de mettre à jour la définition encore incertaine de qui il est.

Attirer les regards

Mais le tatouage ne se réduit pas à une quête personnelle. Il s’inscrit aussi dans une relation aux autres, dans ce que le sociologue Erving Goffman appelait la “présentation de soi”.

En choisissant un tatouage visible, voire provocant, le sujet cherche à maîtriser l’image qu’il donne à voir. Car construire son identité, c’est aussi exister sous le regard de l’autre.

Comme l’analyse David Le Breton, le tatouage spectaculaire est une “forme radicale de mise en valeur et en évidence de soi”. Il vise à sortir de l’anonymat, à s’arracher à “l’indifférence” qui guette tout un chacun.

En singularisant son apparence, la personne tatouée espère susciter la curiosité, l’intérêt, l’admiration parfois. Le tatouage devient ainsi une façon de nouer ou renouer le contact avec autrui.

Le corps tatoué, un corps habité

Si certains choisissent leurs tatouages au hasard, pour beaucoup ils sont loin d’être anodins. Ils racontent une histoire, disent quelque chose d’essentiel de la personne qui les porte.

Une identité qui se lit sur la peau

Le tatouage est une inscription dans la chair d’un récit, d’un symbole, d’une date qui font sens pour celui qui le reçoit. C’est en quelque sorte sa propre histoire que le sujet tatoue sur son corps.

Le tatouage peut commémorer un événement douloureux, honorer la mémoire d’un être cher, célébrer une renaissance. Il dit les épreuves traversées, les deuils surmontés. Il est la marque indélébile du chemin parcouru.

En ce sens, il est révélateur d’une identité mouvante, qui ne cesse de se redéfinir au fil du temps. Le corps tatoué est un corps habité, qui porte en lui sa propre légende.

Des motifs qui révèlent notre personnalité

Même lorsqu’ils ne racontent pas une histoire précise, les tatouages en disent long sur nos aspirations, nos rêves, nos combats. Ils sont les marques visibles de ce que nous avons de plus profond en nous.

Certains choisissent ainsi des symboles issus de mythologies anciennes auxquels ils s’identifient. D’autres font tatouer des animaux dont les attributs font écho à leur propre personnalité.

Le tatouage peut aussi avoir une fonction spirituelle ou protectrice. Des runes vikings aux figurations abstraites inspirées des arts premiers, toutes sortes de motifs sont possibles pour traduire notre quête existentielle.

Qu’ils soient figuratifs ou abstraits, visibles ou dissimulés, nos tatouages disent qui nous sommes. Ils sont les témoins permanents de nos rêves et de nos combats.