Les violences conjugales sont un fléau qui touche de nombreuses personnes en France. Selon une étude de l’INSEE, 0,7% des adultes âgés de 18 à 75 ans déclarent avoir subi au moins une agression physique ou sexuelle de la part de leur partenaire ou d’un ex-partenaire dans l’année précédente. 11,6% des adultes de la même tranche d’âge affirment avoir subi au moins un acte de violence psychologique dans leur couple.
Bien que punies par la loi, les violences conjugales sont encore trop souvent minimisées et considérées comme relevant de la sphère privée. Pourtant, elles ont de lourdes conséquences sur la santé physique et mentale des victimes. Stress, dépression, troubles anxieux, idées suicidaires… les répercussions psychologiques sont nombreuses.
Face à ce constat, on ne peut que s’interroger. Pourquoi certaines victimes mettent-elles tant de temps à quitter leur partenaire violent ? Pourquoi, parfois, ne le quittent-elles jamais ? Bref, pourquoi est-il si difficile de rompre une relation toxique ?
Nous allons tenter de répondre à ces questions complexes, qui soulèvent beaucoup d’incompréhension et de jugements de la part de l’entourage des victimes.
Comment s’installe la violence dans le couple
Avant de comprendre pourquoi il est si compliqué de partir, attardons-nous sur la manière dont la violence s’immisce insidieusement dans le couple. Contrairement aux idées reçues, la plupart des relations toxiques ne débutent pas par des comportements violents. Bien au contraire, la période de « lune de miel » est souvent idéalisée par les victimes.
Une habituation progressive
C’est avec le temps que la manipulation, le dénigrement et la violence psychologique apparaissent. Petit à petit, des remarques blessantes, du chantage affectif, des humiliations publiques viennent ternir le tableau. Comme la grenouille plongée dans une casserole d’eau froide, la victime s’habitue.
« Elle n’aimait pas le gris, alors elle m’a demandé de changer de vêtements… puis de me couper les cheveux différemment. C’est comme ça que ça a commencé », témoigne Alex Skeel, victime de violences conjugales pendant des années.
Puis, la manipulation cède progressivement la place aux intimidations, aux menaces, voire aux coups. La victime est alors prise au piège, conditionnée à minimiser et à accepter la violence.
Une emprise renforcée par intermittence
La plupart du temps, la violence psychologique et/ou physique ne est pas continue, mais cyclique. Après une crise, vient une période d’accalmie pendant laquelle l’agresseur fait preuve de gentillesse, offre des cadeaux, multiplie les déclarations d’amour.
Ces phases de « lune de miel », en renforçant positivement le comportement de la victime, la confortent dans l’idée de rester. L’espoir que les choses s’arrangent est tenace. Le cycle infernal de la violence conjugale est en marche.
Pourquoi partir est-il si compliqué ?
Maintenant que nous avons compris comment s’installe l’emprise au sein d’un couple, attardons-nous sur les obstacles qui entravent le départ des victimes de violence conjugale.
Des obstacles extérieurs
Tout d’abord, de nombreux freins matériels compliquent la séparation :
- Absence de ressources financières
- Absence de logement
- Isolement social
- Enfants en bas-âge
Ces obstacles pratiques, combinés à des années de dévalorisation et de dénigrement, sapent l’estime de soi des victimes et leur capacité à se projeter dans une nouvelle vie.
La peur des représailles
Ensuite, la peur des représailles après la rupture est un motif fréquent de non-départ. Et cette crainte est malheureusement justifiée : dans de nombreux cas, le risque de violence augmente après la séparation.
« Si tu me quittes, je te tue », sont des menaces que reçoivent trop souvent les victimes de violence conjugale.
Certaines personnes violentes ne supportent pas de « perdre le contrôle » sur leur partenaire. Alors que dire lorsqu’il s’agit carrément d’un pervers narcissique, dont le besoin de manipulation et de pouvoir est sans limite ?
L’emprise psychologique du bourreau
Enfin, au-delà des obstacles matériels, l’emprise psychologique exercée par l’agresseur rend très complexe toute velléité de fuite.
En effet, le dénigrement quotidien conduit à une érosion de l’estime de soi qui aboutit à une forme de résignation. La victime intériorise l’idée qu’elle ne vaut rien, qu’elle ne pourra pas s’en sortir seule. On parle alors « d’impuissance acquise », un concept forgé par le psychologue Martin Seligman.
Par ailleurs, certains mécanismes psychologiques inconscients poussent la victime à rationaliser, voire à nier la violence subie. Le déni, les distorsions cognitives, la dissonance cognitive… Tous ces processus mentaux conduisent à une forme d’auto-tromperie.
« On ne peut pas comprendre si on n’est pas dedans », témoigne Alex Skeel pour tenter d’expliquer pourquoi il est resté si longtemps avec son bourreau.
Quel est l’impact psychologique du non-départ ?
Lorsqu’une victime de violences conjugales ne parvient pas à quitter son partenaire violent, les conséquences psychologiques peuvent être dramatiques.
Un risque de syndrome de stress post-traumatique
Tout d’abord, l’exposition prolongée à la violence conjugale expose à un risque élevé de syndrome de stress post-traumatique :
- Reviviscence des traumatismes (flashbacks, cauchemars)
- Évitement des stimuli associés au traumatisme
- Sentiments persistants de peur, de colère ou de culpabilité
- Détachement émotionnel
Ce trouble psychotraumatique peut persister de nombreuses années même après avoir quitté le partenaire violent. Les femmes ayant vécu ce type de violences développent 4 fois plus de PTSD que la moyenne.
D’autres troubles psychiques fréquents
Outre un risque de stress post-traumatique, d’autres troubles psychiques sont favorisés par le maintien dans une relation violente :
- Dépression : perte d’intérêt, tristesse, culpabilité, idées suicidaires…
- Troubles anxieux : attaques de panique, phobies, TOC…
- Addictions : alcool, drogues, médicaments…
- Troubles alimentaires : anorexie, boulimie…
- Troubles psychosomatiques : maux de tête, troubles digestifs, douleurs chroniques…
Ces troubles psychiques sont directement liés au climat de peur et de tension nerveuse permanent dans lequel sont plongées de nombreuses victimes de violence conjugales.
Une altération durable de l’estime de soi
Enfin, le dénigrement, les humiliations, le contrôle permanent… Toutes ces violences psychologiques conduisent à une destruction de l’estime de soi. Or, cette dimension est essentielle à l’épanouissement personnel et au bien-être.
Les conséquences de cette faible estime de soi sont multiples : manque de confiance en soi, difficultés relationnelles, sentiment de vide intérieur, vulnérabilité émotionnelle… Elles participent au maintien du lien de dépendance avec le partenaire violent.
Comment s’affranchir de l’emprise conjugale ?
Bien que le déconditionnement et la sortie de l’emprise puissent sembler une mission impossible, de nombreuses victimes y parviennent. Voici quelques clés pour vous aider dans cette difficile étape.
Prendre conscience de la manipulation
La prise de conscience est la première étape. Elle peut survenir suite à un événement violent particulièrement marquant, après des années de violences. Ou alors petit à petit, à force de remises en question.
Quoi qu’il en soit, réaliser que l’on est victime de violences conjugales est fondamental. C’est une prise de conscience douloureuse qui s’accompagne souvent d’une grande souffrance émotionnelle.
S’appuyer sur ses proches et des associations
Ensuite, il est essentiel de briser l’isolement dans lequel vous a enfermé votre partenaire. Parlez de votre situation à des personnes de confiance, ami(e)s, famille. Ne restez pas seule, vous aurez besoin de soutien.
De nombreuses associations d’aide aux victimes sont également là pour vous épauler. Que ce soit pour trouver un logement, obtenir une aide financière ou tout simplement être écoutée.
Entamer des démarches officielles
Il est également impératif d’entamer des démarches officielles :
- Déposer plainte auprès de la police ou de la gendarmerie
- Faire constater vos blessures par un médecin
- Solliciter une ordonnance de protection auprès du juge
- Demander la mise en place d’un téléphone grave danger
- Quitter le domicile conjugal et vous mettre à l’abri
Ces actions concrètes, en amenant des changements externes, peuvent vous aider à vous défaire de l’emprise psychologique. Elles officialisent aussi votre statut de victime.
Entamer une psychothérapie
Enfin, entamer un travail psychothérapeutique sur soi est capital pour achever de vous libérer de l’emprise conjugale. En effet, votre estime de vous et vos schémas relationnels ont été gravement altérés.
Une thérapie vous permettra de :
- Retrouver confiance en vous
- Vous réapproprier votre pouvoir personnel
- Renouer avec vos émotions
- Vous libérer de la culpabilité
- Vous reconstruire sereinement
De nombreuses approches sont possibles : thérapies brèves, systémique, psycho-corporelle, EMDR…
Conclusion
Les violences conjugales s’immiscent de manière sournoise dans le couple, rendant très difficile toute velléité de rupture. Au-delà des obstacles extérieurs, l’emprise psychologique exercée par l’agresseur conduit à un véritable lavage de cerveau.
Les impacts de cette relation toxique sur la santé mentale peuvent être dramatiques : dépression, addictions, troubles anxieux, altération profonde de l’estime de soi…
Heureusement, malgré ces séquelles psychiques, de nombreuses victimes parviennent à se libérer de cette relation néfaste, avec du temps, du courage et un solide soutien extérieur. Le chemin vers la résilience est possible !