Par Frédérique Korzine
Psychanalyste et Coach à Versailles link text Merci !
Qu’est-ce que le Job Crafting ?
Théorisé par les chercheuses Amy Wrzesniewski (Yale) et Jane Dutton (Michigan) — pas exactement des amatrices d’horoscope, mais de vraies pointures scientifiques — le Job Crafting (ou “façonnage de l’emploi”) part d’un postulat aussi libérateur qu’une fin de réunion le vendredi à 16h : votre fiche de poste n’est pas une table de la loi gravée dans le marbre.
C’est un processus proactif qui vous permet de passer du “prêt-à-porter” standardisé au “sur-mesure” confortable. L’idée ? Remodeler votre quotidien pro pour qu’il colle enfin à vos forces, vos valeurs et vos passions. Bref, au lieu d’attendre désespérément que le “job idéal” ne tombe du ciel (spoiler : il a probablement perdu votre adresse), vous retroussez vos manches pour sculpter la matière brute que vous avez déjà sous la main.
Mais attention, nuance importante : il ne s’agit pas de faire moins ou de démissionner intérieurement (le fameux “Quiet Quitting”).
Au contraire. C’est l’art de s’approprier son poste comme on décore un appartement de location : les murs appartiennent au propriétaire (l’employeur), mais l’ambiance, l’agencement et l’énergie qui y règnent dépendent entièrement de vous. En somme, le Job Crafting vous invite à cesser d’être le simple exécutant de votre fiche de poste pour en devenir le designer.
Pour passer de la théorie académique à la vraie vie, Wrzesniewski et Dutton ont identifié trois terrains de jeu.
La bonne nouvelle ? Ce sont des zones d’autonomie où vous pouvez agir “en sous-marin”, sans forcément convoquer une réunion solennelle avec votre N+1 ou demander un budget au CODIR.
1. Le Crafting des Tâches (Task Crafting)
Ou comment jouer à Tetris avec vos responsabilités.
L’idée n’est pas de jeter vos dossiers urgents par la fenêtre (aussi tentant que cela puisse paraître), mais de modifier le périmètre de vos actions. Vous pouvez ajouter une tâche qui vous “nourrit”, ou changer radicalement votre méthode pour accomplir une corvée habituelle.
L’exemple : Prenez Jérôme, comptable. Sur le papier, il aligne des chiffres. Mais Jérôme adore transmettre. Il décide, de son propre chef, de créer un petit guide ludique pour former les nouvelles recrues aux outils internes.
Le résultat : Il n’a pas changé de métier, il a toujours ses tableaux Excel, mais il a injecté une dose de “mentoring” qui transforme ses mardis matins moroses en moments gratifiants.
2. Le Crafting Relationnel (Relational Crafting)
Ou comment revoir le casting de votre série préférée.
Ici, on s’attaque à l’humain. Avec qui interagissez-vous ? Êtes-vous entouré de “vampires énergétiques” qui se plaignent du café, ou de gens qui vous inspirent ? Ce levier consiste à choisir stratégiquement vos interactions pour augmenter votre jauge d’énergie sociale.
L’exemple : Sarah, développeuse informatique, se sentait isolée, un peu comme un robot derrière son écran. Elle a décidé de s’imposer une nouvelle routine : déjeuner tous les jeudis avec l’équipe du service client.
Le résultat : Au lieu de parler “code”, elle entend les retours des vrais clients. Elle ne voit plus des lignes de commande, mais des solutions qui aident des vrais gens. Elle a humanisé sa tour d’ivoire.
3. Le Crafting Cognitif (Cognitive Crafting)
Ou le changement de lunettes (le plus puissant).
C’est le levier “Jedi” de la psychologie positive. Ici, vous ne touchez ni à vos tâches, ni à vos collègues, mais uniquement à votre cerveau. Il s’agit de changer la narration que vous vous faites de votre job. Quel est le but ultime de ce que vous faites ?
L’étude culte : Wrzesniewski a mené une enquête désormais célèbre auprès du personnel de nettoyage d’un hôpital. Elle a découvert deux clans distincts effectuant pourtant les mêmes gestes :
- Le premier groupe décrivait son job comme “nettoyer des sols, vider des poubelles, frotter”. Résultat : ennui, fatigue, sentiment d’infériorité.
- Le second groupe voyait sa mission comme “créer un environnement stérile pour aider les patients vulnérables à guérir”. Le résultat : Pour ce second groupe, passer la serpillière n’était pas une corvée, mais un acte médical de protection. Ils ne nettoyaient pas, ils soignaient. Et leur niveau de bonheur au travail crevait le plafond.
Atelier pratique : Votre plan d’action en 3 étapes
Prêt à “crafter” votre poste ? Voici comment commencer dès cette semaine.
Étape 1 : L’audit énergétique
Prenez une feuille et listez vos tâches principales de la semaine.
- Mettez un (+) à côté de celles qui vous donnent de l’énergie.
- Mettez un (-) à côté de celles qui vous épuisent.
- L’objectif : Comment pouvez-vous augmenter légèrement le temps passé sur les (+) et déléguer, automatiser ou repenser la méthode des (-) ?
Étape 2 : L’injection de vos “Forces de Caractère”
En psychologie positive, utiliser ses forces signatures (comme la créativité, l’humour, la persévérance ou la gentillesse) est un vecteur direct de bien-être (le fameux Flow). Si votre force est l’Humour, comment l’intégrer dans vos présentations PowerPoint austères ? Si c’est la Beauté, comment réorganiser votre espace de travail pour qu’il vous inspire ?
Étape 3 : La méthode des petits pas
Ne tentez pas de tout révolutionner lundi matin à 9h00. Le Job Crafting fonctionne par petites touches. Choisissez une seule action (déjeuner avec un collègue différent, réécrire une procédure à votre façon) et testez-la. Observez comment cela modifie votre humeur en fin de journée.
Le sens ne se trouve pas, il se fabrique
Le mythe du “job de rêve” qui nous attendrait quelque part est tenace. La réalité, c’est que le sens est moins une question de trouvaille que de fabrication.
En pratiquant le Job Crafting, vous ne faites pas seulement un cadeau à vous-même en retrouvant de l’autonomie et du plaisir. Vous devenez également plus performant et engagé, ce qui, paradoxalement, finit souvent par bénéficier à l’entreprise.
Alors, avant de partir élever des chèvres, posez-vous cette question : quelle petite retouche pourriez-vous apporter à votre travail aujourd’hui pour qu’il vous ressemble un peu plus ?
